Etude de cas n°5 : surdité, conduction aérienne ou osseuse




Enoncé du problème


L’oreille est un appareil récepteur des sons, qui sont des vibrations de l’air. Les vibrations du tympan sont amplifiées par la chaîne des osselets et transformées en ondes liquidiennes dans l’oreille interne au niveau de la cochlée.

Les ondes liquidiennes provoquent au final l’excitation de cellules munies de cils, avec émission de signaux électriques vers le cerveau qui les interprète.

Il existe deux grandes familles de surdité selon que le problème se situe sur la chaîne de transmission tympan/osselets (surdité de transmission) ou au niveau de la cochlée (surdité de perception). La surdité professionnelle liée au bruit (tableau des maladies professionnelles n°42) est une surdité de perception.

L’atteinte auditive est évaluée lors d’un examen, l’audiométrie, avec l’établissement d’une courbe, l’audiogramme. L’audiométrie est dite tonale lorsqu’est analysée la capacité de l’individu à entendre des sons d’intensité variable à différentes fréquences.

La surdité professionnelle affecte préférentiellement les fréquences aigües. Le déficit à chaque fréquence est exprimé en décibels (dB). Le tableau n°42 exige que le déficit moyen sur la meilleure oreille doit être d’au moins 35 dB, ce déficit moyen résultant de la moyenne des déficits aux fréquences 500, 1000, 2000 et 4000 Hz.

La surdité professionnelle étant une surdité de perception, le meilleur  moyen de la distinguer d’une surdité de transmission est d’analyser conjointement la conduction aérienne et la conduction osseuse.

Dans l’analyse de la conduction osseuse, l’émetteur de sons est appliqué sur l’os dans lequel est logée l’oreille.

S’il s’agit d’une surdité de perception, la conduction aérienne et la conduction osseuse sont concordantes. Par contre s’il s’agit d’une surdité de transmission, la conduction aérienne est défectueuse, alors que la conduction osseuse reste bonne.

En fait, la conduction osseuse est souvent meilleure que la conduction aérienne sans que cela ait une signification particulière (manuel d’audiologie pratique de F. LEGENT et collaborateurs, éditions Masson 2002, page 19) :

« Dans l’immense majorité des cas, la conduction osseuse est égale ou meilleure que la conduction aérienne […] L’audiogramme d’une surdité purement neurosensorielle peut avoir une courbe aérienne se situant 5 à 10 dB au dessous de la conduction osseuse, sans qu’on puisse en tirer de conclusion ».

Lorsque le déficit moyen en conduction osseuse n’atteint pas les 35 dB, mais qu’il les atteint en conduction aérienne, les médecins conseils profitent de la situation pour ne prendre en compte que la conduction osseuse, écartant ainsi de la reconnaissance un certain nombre de salariés.

Pourtant il est clair que l’objectif du tableau n°42 a pour but d’indemniser un handicap auditif et que ce handicap se traduit par une mauvaise audition des sons et des voix transmises par voie aérienne.


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Exposé des faits


Monsieur M., qui a été exposé au bruit durant sa carrière professionnelle comme opérateur dans une station d’épuration, a fait une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n°42 pour une surdité professionnelle.

L’audiogramme, qui a servi de 1ère constatation médicale, a été fait dans les règles exigées par le tableau, à savoir « après une cessation d’exposition au bruit lésionnel d’au moins 3 jours », l’audiométrie tonale ayant été complétée par une audiométrie vocale (l’audition est testée avec des mots) concordante.

Le déficit auditif moyen, en conduction aérienne, est de 37 dB à l’oreille droite et 36 dB à l’oreille gauche, mais la caisse refuse la prise en charge, après avis du médecin conseil qui ne prend en compte que la conduction osseuse.

Effectivement, en conduction osseuse, le déficit auditif moyen n’est que de 33 dB à droite et 31 dB à gauche.

La voie de recours indiquée par la caisse est la saisine de la Commission de recours amiable qui notifie un rejet à la victime. En fait, dans la mesure où le litige est d’ordre médical, la voie de recours aurait dû être l’expertise médicale, au titre de l’article L141-1 du Code de la sécurité sociale.

Mais, comme on le verra dans l’étude de cas n°6, c’est en fait un peu plus compliqué.

Le dossier est pris en main par une permanence médico-légale syndicale dont je suis le conseiller et une demande d’expertise médicale est formulée devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS).

Mais le débat entre conduction aérienne et conduction osseuse n’a pas lieu car l’expert trouve un déficit auditif moyen, en conduction osseuse, de 38 dB à droite et de 42 dB à gauche et affirme que les conditions médicales du tableau n°42 sont remplies.

La victime l’a échappé belle car de plus l’expert, un vieux professeur à la retraite, ne sait pas que le mode de calcul du déficit auditif moyen a changé en 2003 et il applique l’ancien mode de calcul moins favorable, comme nous le verrons dans l’étude de cas n°6.

L’employeur, appelé à la cause, n’est pas content et obtient du Tribunal la mise en œuvre d’une nouvelle expertise.  Mais « manque de pot » pour lui, le nouvel expert donne raison à la victime.

Ce qui est intéressant dans cette expertise, c’est qu’elle « remet les pendules à l’heure » en prenant en compte la conduction aérienne et en appliquant le nouveau mode de calcul du déficit moyen auditif en vigueur depuis 2003.

L’employeur n’est toujours pas très content, et n’ayant pas gain de cause sur la contestation de la réalité de la maladie, insiste alors sur sa non-responsabilité de l’entreprise dans la survenue de la surdité, en plaidant l’inopposabilité.

Il est débouté et saisit la Cour d’appel, laquelle à son tour le déboute, notamment sur l'inopposabilité.


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Discussion


L’impact de la prise en compte de la conduction osseuse, au lieu de la conduction aérienne, qui est non négligeable sur la reconnaissance de la surdité professionnelle, devient plus important quand il s’agit de fixer le taux d’IPP.

Le mode de calcul du taux d’IPP est défini au paragraphe 5.5.2 du barème des accidents du travail (pièce jointe).

Le déficit auditif moyen calculé est moins favorable que le déficit auditif moyen requis dans le tableau n°42, comme le verrons dans l’étude de cas n°6.

Un tableau croisé définit le taux d’IPP en fonction de la perte respective à chaque  oreille, les pertes faisant l’objet d’un regroupement en classes.

Monsieur M. s’est vu attribuer un taux d’IPP de 3%, le médecin conseil s’obstinant à ne prendre en compte que la conduction osseuse, alors qu’il doit bénéficier d’un taux d’IPP de 8% selon la conduction aérienne. L’affaire est devant le Tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI).

Dans cette affaire, la conséquence de la prise en compte de la conduction osseuse par le médecin conseil n’est très importante, puisqu’en conduction aérienne, le taux est de 8%, en deçà des 10% à partir desquels la victime peut bénéficier d’une rente.

Mais il en est différemment dans d’autres cas, par exemple avec l’audiogramme de Monsieur B. (tracé ci-joint).




En conduction osseuse (courbe du dessus) le taux d’IPP est de 8% et c’est ce taux qui a été attribué par la caisse à la victime, alors qu’en conduction aérienne (courbe du dessous) le taux d’IPP est de 18%. L’affaire a été portée devant le TCI.

Dans l’avis que j’ai produit, je fais valoir que le barème précise :

« Lorsqu’il s’agit d’apprécier, dans une surdité mixte, la part qui revient à une surdité cochléaire, le calcul devra être fait d’après l’audiométrie tonale en conduction osseuse ».

Une surdité mixte est l’addition d’une surdité de transmission et d’une surdité de perception. A contrario, lorsque la surdité n’est pas mixte, mais cochléaire pure, le calcul se fait à partir de la conduction aérienne.

D’ailleurs, ce même barème « annonce la couleur » au départ : « L’IPP est fonction de la perception de la voix de la conversation ».

Par ailleurs la Cour de cassation (1999), qui a eu à traiter du problème de la conduction aérienne dans le cadre de la détermination du taux d’IPP, précise de son côté :

« [...] l’incapacité permanente, qui est calculée en fonction de la perception de la voix, doit être évaluée […] à partir des résultats de la conduction aérienne qui est celle par laquelle sont reçus les sons ».

Suite à une expertise favorable, le TCI attribue le taux de 18%, mais la caisse fait appel à la CNITAAT. L'affaire est en cours.


                                                                                    Mars 2013
(mise à jour, juillet 2014)

5 commentaires:

  1. Réponse au commentaire de Joseph en page d'accueil

    Le barème du Code des pensions civiles et militaires de retraites précise au chapitre VIII que "la courbe aérienne sera utilisée dans le calcul des surdités de perception".

    La surdité professionnelle est une surdité de perception. L'audiométrie vocale n'entre pas directement en ligne de compte.

    A noter que le déficit auditif moyen pour d'indemnisation est calculé, contrairement au barème des accidents du travail de la sécurité sociale, sur la somme des déficits aux 4 fréquences 500, 1000, 2000 et 4000 herz divisée par 4.

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  2. Bjr
    je suis dans le cas de discussion pour une reconnaissance mais le ministere de la défense semble regarder la courbe osseuse et non la courbe aérienne pouvez me donnez le lien du code des pensions et surtout l'artice concerné merci d'avance .

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    1. Ci-joint le lien pour le barème d'invalidité des pensions civiles et militaires :
      https://outils.cdc.retraites.fr/invalidite/bali/bareme.htm.

      Attention - En plus de la courbe aérienne préconisée, le mode de calcul du taux d'IPP est plus favorable que dans le barème sécurité sociale puisqu'il est calculé sur la moyenne des déficits à 500, 1000, 2000 et 4000 Hz sans pondération.

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  3. Bonjour,

    Etes-vous en mesure de me communiquer,comment et selon quelles critères (médicaux) a été défini la déficience de 35 dB énoncée dans le tableau N°42 des Maladies Professionnelles ?

    En vous remerciant par avance

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  4. Qu'elle nouvelle de cette affaire ( cas n°5 )?

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