Etude de cas n°3 : hernie discale et manutention manuelle



Source : notice d'instruction de l'entreprise ferroviaire.



Enoncé du problème


Le tableau des maladies professionnelles n°98 est intitulé : « Affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes ».

Il permet la reconnaissance en maladie professionnelle d’une sciatique par hernie discale sous réserve que l’atteinte de la racine nerveuse et que la présence de la hernie soient de topographie concordante.

Par exemple, une sciatique de type S1 (la douleur descend dans le membre inférieur en principe jusqu’au au bord externe du pied, dans le petit orteil) correspond en principe à une hernie discale L5-S1 (le disque atteint se situe entre la 5ème vertèbre lombaire et le haut du sacrum).

Le tableau n°98 énumère un certain nombre de « travaux de manutention manuelle habituelle de charges lourdes » dans une liste limitative, dans laquelle sont notamment fait mention les travaux « dans le fret routier, maritime, ferroviaire, aérien ».

Le Code du travail, dans l’article R4541-2, indique ce qu’il faut entendre sous le vocable « manutention manuelle » :

 « On entend par manutention manuelle, toute opération de transport ou de soutien d’une charge, dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port ou le déplacement, qui exige l’effort physique d’un ou de plusieurs travailleurs ».

Il apparaît ici clairement que la manutention manuelle de charges ne se limite pas au port de charge, qui n’en est qu’une modalité.


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Exposé des faits


Monsieur H., âgé de 35 ans, est employé depuis 9 années dans une entreprise ferroviaire comme atteleur (il accroche les wagons entre eux) dans un centre de triage fret (marchandises).

Il manipule dans le cadre de son travail des attelages pesant de l’ordre de 35 kg (= charges lourdes) et cela plus de cent fois par jour (= manutention manuelle habituelle).

Il est victime d’une sciatique S1 droite (constatation clinique) due à une hernie discale, mise en évidence au scanner et qui nécessite alors une intervention chirurgicale.

Il fait une déclaration de maladie professionnelle, mais au bout des délais d’instruction impartis (3 mois plus 3 mois), la caisse lui notifie un refus provisoire.

Elle explique que le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), auquel le dossier a été transmis, dans le cadre de l’alinéa 3 de l’article L 461-1, en raison du dépassement du délai de prise en charge, n’a pas encore répondu. Le délai de prise en charge est le temps maximal à ne pas dépasser entre la fin de l’exposition et la première constatation médicale.

En fait, quand l’avis du CRRMP parvient à la victime, on apprend que le litige ne porte pas en fait sur le délai de prise en charge, mais sur l’exposition au risque. L’avis est négatif (pas de lien direct entre la maladie et le travail), le CRRMP faisant une lecture erronée de ce qu’est la manutention manuelle :

« Il manutentionne des anneaux, dont le poids est d’environ 20 kg. Il ne s’agit pas du port de ces anneaux, mais d’une manœuvre qui permet l’emboîtement de deux pièces métalliques par mouvement de rotation contraire…  
Les tâches effectuées comportent des manipulations d’anneaux d’attelage et non leur manutention (port) au sens du tableau de MP 98 ».

La victime est alors aidée par une des permanences syndicales AT/MP dont je suis le conseiller médical.

Dans la contestation devant le TASS, la signification de « manutention manuelle » est rappelée, en faisant valoir que Monsieur H. répond bien aux conditions définies dans le tableau de maladie professionnelle n°98 :

  • il n’y a pas de litige sur la désignation de la maladie ;
  • on apporte les preuves de la manutention manuelle habituelle de charges lourdes (descriptif du travail, témoignages), dans un secteur professionnel prévu dans la liste limitative des travaux, à savoir le fret ferroviaire ;
  • la durée minimale d’exposition de 5 ans est respectée (la victime fait ce travail depuis 9 années) ;
  • le délai de prise en charge de 6 mois est respecté (il est en période de travail quand surviennent les premiers symptômes).

Dès lors, la soumission du dossier au CRRMP était injustifiée, sachant que la possibilité n’a pas été donnée à la victime de débattre de l’exposition dans le cadre de la procédure normale, c’est-à-dire dans la logique du tableau basée sur la présomption d’origine.

En fait, l’argument développé à titre principal est que l’avis motivé du CRRMP est intervenu au-delà des délais d’instruction impartis (3 mois plus 3 mois) et que le refus provisoire de la caisse est irrégulier et ne peut produire effet.

Le TASS accède à notre dernière demande et homologue la reconnaissance implicite de la maladie. La caisse fait appel, puis se rétracte.

L’étape suivante sera le débat sur le taux d’IPP (incapacité permanente partielle), dont la fixation se saurait tarder à venir.


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Discussion


Les juges du TASS n’ont pas pris beaucoup de risque en jugeant que la reconnaissance de la maladie professionnelle était implicite. L’argumentation de fond est en effet solide et d’ailleurs la caisse, qui au départ s’est précipité en appel, a fait par la suite marche arrière, en se rendant compte sans doute que de toute façon elle ne pourrait pas gagner par la suite.

Concernant le débat sur le fond, il importe de définir ce qu’on entend par « charges lourdes ».

Pour notre part, nous nous sommes référés jusqu’à maintenant à la norme AFNOR X 35-109 (1989) « Limites acceptables de port manuel de charges par une personne », que nous extrapolons d’une façon sans doute un peu approximative aux autres modalités de manutention manuelle de charges.

Nous prenons donc comme référence en port de charges « répétitif » (plus d’une fois toutes les 5 minutes) le poids unitaire de 25 kg pour les hommes de 18 à 45 ans pour définir la caractéristique de charge lourde.

La norme X 35-109  de 1989 est remplacée depuis 2009 par une nouvelle norme, NF X 35-109, révisée en 2011, « Manutention manuelle de charge pour soulever, déplacer et pousser/tirer », de maniement plus délicat, dont nous n’avons pas l’expérience et dont l’accessibilité est payante (voir Boutique AFNOR Editions).


Février 2013

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