Etude de cas n°6 : audiogramme, erreur de lecture



Source : internet.


Enoncé du problème


Par le passé, les tracés des audiogrammes étaient faits à la main et leur lecture plus ou moins facile pouvait être source d’erreur « matérielle », pour reprendre la terminologie juridique.

Aujourd’hui, avec l’informatisation du matériel qui se généralise, les tracés sont clairs et les erreurs de lecture ne sont plus d’ordre « matériel», mais sont des actes de malveillance.

Alors que dans le tableau n°42, concernant la surdité professionnelle, le déficit auditif moyen, qui doit être d’au moins 35 décibels sur la meilleure oreille, est calculé en faisant la moyenne des déficits mesurés sur les fréquences 500, 1 000, 2 000 et 4 000 Hertz, il en va autrement pour le calcul du déficit auditif moyen intervenant pour l’indemnisation.

Ce déficit est également calculé sur les fréquences 500, 1000, 2000 et 4000 Hertz, mais la perte est assortie aux différentes fréquences d’un coefficient, désavantageant les fréquences aiguës où la perte est maximale. Le déficit moyen est obtenu en divisant par 10 la somme calculée à partir de la perte en dB à 500 Hz multipliée par 2, à 1000 Hz (x4), à 2000 Hz (x3) et à 4000 Hz (x1).

C’est ce mode de calcul qui prévalait pour la reconnaissance jusqu’au 28 septembre 2003 où, à partir de cette date, a été défini un mode de calcul plus favorable, mais le mode de calcul du déficit auditif moyen n’a pas changé dans le cadre de l’indemnisation (paragraphe 5.5.2 du barème accidents du travail).

Certains feignent d’ignorer que le mode de calcul du déficit auditif moyen  pour la reconnaissance de la surdité professionnelle a changé en 2003.


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Exposé des faits


Monsieur K., ayant été exposé au bruit pendant 30 ans, fait une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n°42 présentant le déficit auditif moyen requis aussi bien en conduction aérienne qu’en conduction osseuse.

Il est pris en charge par la permanence syndicale dont je suis le conseiller médical.

La caisse refuse, estimant que le déficit n’est pas suffisant. En fait, elle s’appuie sur l’avis sapiteur d’un professeur ORL en retraite qui ne sait pas que le mode de calcul a changé en 2003 et qui a calculé le déficit moyen auditif selon l’ancien mode de calcul.

On s’en étonne dans nos conclusions devant le TASS. La caisse renvoie alors, avant audiencement,  le dossier au vieux professeur qui admet son erreur, mais commet cette fois-ci une erreur matérielle dans la lecture du tracé selon le nouveau mode de calcul en vigueur.

Le médecin chef de la caisse consulté par les services administratifs avalise l’erreur de lecture. Le déficit n’est donc pas suffisant.

Nous n’avons pas eu connaissance en temps voulu de ces deux avis, la victime ne nous les ayant pas transmis tout de suite, ce qui fait que nous n’avons pas eu le loisir d’en faire une critique avant que le TASS ne statue.

Le TASS, estimant n’avoir pas assez d’éléments pour prendre position, décide de mettre en œuvre une expertise médicale au titre de l’article L141-1 du Code de la sécurité sociale.

La caisse saisit la Cour d’appel estimant que le TASS n’en pas le droit, le litige n’étant pas, soi-disant, d’ordre médical. Elle s’appuie sur une jurisprudence de la Cour de cassation (10.12.2009).

Dans nos conclusions devant la Cour d’appel, non prenons acte de cette jurisprudence et nous nous en remettons à la sagesse de la Cour, tout en apportant les éléments nécessaires pour prouver que Monsieur K. possède bien le déficit auditif moyen requis par le tableau n°42 et nous expliquons l’erreur de lecture du professeur ORL.

Nous versons notamment au débat un avis du professeur du Service de pathologie professionnelle qui fait la synthèse de plusieurs audiogrammes :

« Même si les audiogrammes rapportent des différences probablement inhérentes à la technique utilisée, la perte auditive pour ce patient est toujours supérieure à 35 dB sur la meilleure oreille ».

Lors de l’audience de mise en état du dossier, le défenseur de la victime a l’impression que la cause est entendue, mais demande, par sécurité, un délai afin que le conseiller médical produise à la Cour une note technique sur la lecture de l’audiogramme. Cette note technique est envoyée à la Caisse, dans le cadre du débat contradictoire.

C’est alors que le médecin conseil chef, précédemment cité, explique dans un avis qui est transmis à la Cour, que ce n’est pas le mode de calcul du déficit auditif moyen prévu au tableau qui s’applique, mais le mode de calcul prévu au barème des accidents du travail, au paragraphe 5.5.2. La victime ne présente donc pas le déficit auditif moyen requis.

L’avis nous parvient peu de temps avant l’audience de la Cour, mais  la manœuvre est si grossière que nous ne prenons pas garde à répondre, d’autant que nous avons expliqué longuement dans nos conclusions la différence entre les deux modes de calcul.

Contre toute attente, la Cour s’appuie sur l'avis du médecin conseil chef et déboute la victime de sa demande de reconnaissance. Monsieur K. ne poursuit pas en cassation.


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Discussion


L’avis du médecin conseil chef est mensonger. Il s’agit soit d’incompétence, soit de malveillance. Je penche pour la seconde hypothèse.

L'arrêt de la Cour d’appel, qui s'appuie sur cet avis mensonger, alors qu’elle a tous les éléments pour juger correctement, est invraisemblable.

Malheureusement, la victime ne juge pas utile de poursuivre en cassation, mais il faut signaler à sa décharge que le coût d’une telle procédure est prohibitif.

                                                                                                                 Mars 2013

1 commentaire:

  1. Bravo, dr Privet, pour vos arguments qui m'ont été très utiles pour défendre des patients !
    Dr Dang-Vu Vincent

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