Etude de cas n°9 : syndrome de dysafférentation


Elle oublie son pouce


Source : internet.


Enoncé du problème


Suite à un accident pas forcément très grave, la victime peut développer des réactions plutôt d’ordre psychologique qui peuvent apparaître disproportionnées pour certains, mais qui n’en sont pas moins réelles et qui doivent être indemnisées à leur juste mesure.

Le syndrome de dysafférentation en est un exemple et il est fréquent après les traumatismes de la main.

Voilà ce qu’en dit le « Traité de médecine physique et de réadaptation » de J.M. ANDRE et collaborateurs, éd. Flammarion 2003, page 214 :

« Des dysafférentations, à l’origine de phénomènes d’exclusion segmentaire, sont fréquentes après les traumatismes de la main, y compris bénins. Elles donnent lieu à des comportements de négligence et de positions segmentaires anormales (doigts en extension permanente, par exemple). 
Ces manifestations sont secondaires aux phénomènes locaux, cutanés et sous-cutanés, notamment inflammatoires, exercés sur les transducteurs désétalonnés leurrant le système nerveux central ».


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Exposé des faits


Mme D., décoratrice, se brûle au travail au niveau de la main droite avec un pistolet à colle défectueux. La brûlure est le siège d’une surinfection, mais cela s’arrange assez rapidement.

Par contre, Mme D. développe une exclusion fonctionnelle de son pouce, qui nécessite de longs mois de rééducation, en vain.

Mais la caisse refuse durant tout ce temps de payer les indemnités journalières au titre de l’accident du travail, tout en les payant au titre de la maladie. La caisse n’est d’ailleurs pas à une contradiction près, puisqu’elle assure pendant tout ce temps le paiement des soins au titre de l’accident du travail.

L’expert, qui vient à rescousse de la caisse, conclut :

« A partir du moment où la diminution de la mobilisation du pouce droit ne trouve pas de cause organique, il est évident que l’on déborde du seul cadre des lésions propres à l’accident du travail ».

Mme D. est prise en charge par une permanence syndicale dont je suis le conseiller médical.

L’affaire est portée devant le TASS (Tribunal des affaires de sécurité sociale) qui, à notre demande, diligente une autre expertise dont la conclusion est sans ambiguïté :

« Les séquelles actuelles, en rapport avec des phénomènes d’exclusion du pouce droit liés à des dysafférentations sont imputables à l’accident du travail ».

La date de consolidation, fixée prématurément par la caisse, est alors reportée neuf mois plus tard et la victime récupère les indemnités journalières au titre de l’accident du travail, plus avantageuses que les indemnités journalières au titre de la maladie.

Mais lorsqu’il s’agit d’attribuer un taux d’IPP, il est notifié à la victime que l’accident du travail n’entraîne pas de séquelles indemnisables à la date de consolidation. Cette notification fait suite à l’avis du médecin conseil :

« Séquelles constituées par une exclusion du pouce sans atteinte objective associée. Séquelles non indemnisables ».

Le litige est porté devant le TCI (Tribunal du contentieux de l’incapacité) avec un avis du conseiller médical reprenant l’argumentation développée précédemment devant le TASS et suggérant au Tribunal qu’il apprécie à sa juste mesure la philosophie sous-tendant la décision de la caisse : tout ce qui est mental n’est pas du ressort de l’indemnisation.

Nous proposons, dans la mesure où le barème accidents du travail ne prévoit pas expressément ce type de situation, que cette exclusion fonctionnelle soit assimilée à une amputation totale du pouce (phalanges et métacarpien) pour laquelle le barème prévoit, au paragraphe 1.2.1, un taux d’IPP de 35% pour le côté dominant (pièce jointe).

Le TCI accède à notre demande et accorde 35%, sans tenir compte de l’avis de l’expert présent qui demande que le dossier soit soumis à un sapiteur neurologue, ce qui n’aurait apporté rien de plus dans la mesure où il s’agissait de faire correspondre un taux d’IPP à une pathologie bien identifiée.


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Discussion


Tout d’abord, il faut saluer dans cette affaire le courage des juges du TCI qui ont pris leurs responsabilités, sans tenir compte de l’avis de leur expert, ce qui n’est pas fréquent.

La caisse n’a pas fait appel du jugement (devant la CNITAAT ou Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail) dans la mesure où cette affaire est déjà ancienne et ce n’était pas alors dans la pratique des caisses de contester systématiquement les décisions du TCI favorables aux victimes, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui.

La notion de « séquelles non indemnisables » n’a aucun support légal. C’est une invention des médecins conseils. Soit il y a guérison, soit il y a consolidation avec séquelles et ces séquelles, quelles qu’elles soient,  doivent être indemnisées.

Les indemnités journalières en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles sont plus avantageuses que les indemnités journalières dans le cadre de la maladie simple.

Sans entrer dans le détail et d’une manière générale, dans le cadre de la maladie simple, l’indemnité journalière correspond à la moitié du salaire journalier brut de base (1/30ème du brut de la dernière paie), tandis que dans le cadre des AT-MP, l’indemnité journalière correspond à 60% du salaire journalier brut de base les 28 premiers jours et à 80% à partir du 29ème jour.

Mai 2013
(mise à jour, juillet 2014)

1 commentaire:

  1. Merci pour ces petits cours de santé au travail , vivement les suivants
    Roland

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